Ça s’est passé dimanche. Je n’ai rien vu arriver, puis ça m’est tombé dessus comme ça, sans crier gare. En plein milieu d’une salle de cinéma, en plein milieu de la foule, devant un film. Les chevaliers blancs, ça s’appelait. A peine les premières images du film ont commencé à défiler que l’Afrique m’a rappelée à elle. C’étaient la vue des routes rouges, des enfants, de la nature, des petites maisons du film. C’était la vue de tout ce que je connaissais.
Mon premier souvenir du Burkina Faso était terrible. Minuit, un voyage en car atroce, une chambre aux murs sales, un trou pour toilettes. J’ai pleuré. Je voulais rentrer, je voulais retrouver ma mère, je voulais m’endormir dans mon lit et je voulais oublier l’idiote idée que j’avais eue de partir en voyage de coopération. C’est là qu’on ressent pour la première fois la honte, celle d’être un gosse pourri gâté. Après ce soir-là, je ne me suis plus jamais plainte du confort. J’avais appris ma première leçon.
Plus un jour ne s’est ensuite passé sans que je n’apprenne. Des autres, de mes amis, de mes nouvelles rencontres, des silences et des rires, de moi-même aussi. J’ai pris le temps pour une fois dans ma courte vie de m’asseoir et d’écouter pour observer la paix, le calme, le brouhaha de Koudougou, le mont sacré de Réo, les éléphants de Nazinga. J’ai perdu la notion du temps. J’ai flotté dans une bulle et, un à un, mes soucis se sont évanouis. J’ai appris à relativiser. J’ai serré la main des enfants, j’ai caressé leur tête, j’ai enfermé leurs sourires dans mon cœur. Et puis pour la première fois, face à toute l’attention qu’on nous portait, j’ai eu honte d’être blanche. De quel droit était-je placée sur un piédestal par ces gens qui avaient tellement plus à offrir humainement que moi ? Finalement, si le Burkina m’a appris l’humilité, il a fini par m’apporter aussi l’équilibre.
Au cours de mon voyage, je me suis pris des claques. Je me suis pris des claques comme on se prend une porte, par mégarde, dans un pur moment d’inattention. Ça s’appelait la prise de conscience. La conscience de la misère, de la pauvreté, des maladies, de la vie si dure mais malgré tout du bonheur et de la joie, de l’amour et du partage. C’était magnifique.
Oui, j’ai été ravie de partir à des kilomètres de chez moi, dans un confort proche de zéro. J’ai été ravie de troquer mon temps, mon Noël en famille, mes cadeaux, mon foie gras pour du riz et une douche froide. Croyez-moi, du début à la fin, de mes premières larmes de désolation à mon arrivée à celles de tristesse à mon départ, tout en valait la peine. Et même les coups de blues, les coups durs, les moments indescriptibles, oui, tout méritait d’être vécu. Et tout est à refaire. Là-bas, au pays des hommes intègres, ici, ailleurs, tout est à refaire.
Emmanuelle Ledure